Dans Night School : Héritage, la période durant laquelle Allie demeure dans la maison de Rachel Patel est mentionnée mais n'est pas décrite. Dans ce chapitre, qui ne fut pas retenu pour l'édition définitive, nous découvrons ce qui se passe durant les quelques jours après l'attaque subie à Londres, durant lesquels Allie se remet aux côtés de Rachel, de sa sœur Mina, ainsi que de leurs parents au sein de leur forteresse de campagne hautement gardée.
Le matin suivant la traque d'Allie dans Londres.
"C'est la chose la plus dingue que j'ai jamais entendue !"
Rachel s'assit aux côtés d'Allie à la table de la cuisine, un morceau de toast généreusement tartiné de confiture oublié entre sa main. Les rayons du soleil traversant les fenêtres derrière elle faisaient scintiller ses cheveux noirs et illuminaient ses yeux en amande. "Ils t'ont littéralement chassées à travers tout Londres ? Où était la Police pour l'amour de Dieu ?"
La mère de Rachel poussa une exclamation désapprobatrice depuis le plan de travail où elle préparait des œufs brouillés. "La Police ne se tient pas simplement à l'extérieur de ta maison en attendant que tu aies des ennuis, Rachel. Même à Londres, tu dois les appeler."
C'était la fin de matinée. Parce qu'elle était arrivée si tard, ils avaient laissé Allie dormir ; elle était à présent affamée.
"Ton père m'a carrément sauvée", déclara Allie, tartinant un morceau de toast, "C'est tout simplement un héros."
Alors qu'elle empilait des œufs sur une assiette déjà chargée de bacon et de saucisses, la mère de Rachel sourit. "Il faisait simplement son travail, Allie."
"Mais il était si cool et calme, même avec ces gars qui nous poursuivaient dans les rues", s'enthousiasma Allie. Lorsque la nourriture fut déposée sur la table en face d'elle, elle ajouta poliment, "Merci pour le petit déjeuner, Mme Patel."
"Je t'en prie." Se tournant vers Rachel, Mme Patel changea de sujet. "Après le petit déjeuner, tu devrais faire faire un tour de la propriété à Allie. Isabelle dit qu'elle va rester ici pendant quelques jours. Autant que vous en profitiez toutes les deux pour vous amuser un peu avant que l'école ne reprenne." Elle se retourna vers Allie. "Est-ce que tu montes ?"
"Des motos ?" demanda Allie, la bouche pleine de saucisse.
Rachel et sa mère pouffèrent de rire.
"J'aimerais bien," dit Rachel. "Elle veut parler de chevaux."
Allie rougit. "Je n'ai jamais monté de cheval de ma vie. Il n'y avait pas beaucoup de chevaux là où j'ai grandi."
"On ira faire un tour à l'étable plus tard," dit Rachel. "Si tu veux faire un essai, le cheval de Maman est très calme, elle peut monter Sage, n'est ce pas Maman ?"
Mme Patel semblait comprendre le malaise d'Allie.
"Seulement si c'est quelque chose qu'Allie souhaite vraiment faire, Rachel," dit-elle. "Les chevaux ne sont pas fait pour tout le monde."
Allie, prise dans cette conversation, reposa lentement son couteau.
"Vous possédez réellement vos propres étables ?"
Rachel hocha la tête. "Je monte depuis que je suis toute petite. Allons y faire un tour plus tard et tu pourras rencontrer Angelica."
"Qui est Angelica ?"
"Le cheval de Rachel," dit Mme Patel en lissant les cheveux de sa fille. "Elles s'adorent mutuellement."
"C'est vrai," dit Rachel théâtralement. "Je suis amoureuse d'un cheval. Ils disent que nous ne pouvons pas être ensemble. Que la mixité entre espèces est mal..."
"Mange tes œufs," dit sa mère en riant, se retournant pour remplir le lave-vaisselle.
***
"Alors, comment ça s'est passé à la maison, je veux dire, avant que les gars en costumes ne se pointent."
Rachel et Allie se détendaient sur des chaises-longues au bord d'une longue piscine d'eau azur. Si Allie avait été impressionnée par les étables, le fait qu'il y ait une piscine était encore plus excitant.
"C'était... étrange." dit Allie en redressant les fines bretelles de son maillot de bain bleu emprunté et plissa les yeux face au soleil. "Je ne sais pas par où commencer."
"Commence par le début," suggéra Rachel. "Que s'est-il passé lorsque tu es arrivée chez toi ?"
Cette partie-là était facile.
"Au début, c'était très, très bien." Allie se retourna sur son ventre et se redressa sur ses coudes, repoussant ses cheveux mi-longs à hauteur des épaules et qui lui passaient devant les yeux. "Mes parents étaient très gentils, et tout était du style, tu sais 'Ouai Allie ! Tu ne t'es pas plantée en Anglais !'"
"Tu n'as eu que des A en Anglais," la corrigea Rachel.
"Tu vois ce que je veux dire," répliqua Allie en la fusillant du regard et Rachel sourit.
"Donc," dit Rachel, "tout se passait comme sur des roulettes, et puis...?"
Allie soupira. "Je savais que je devrais poser toutes les questions difficiles. Comme pourquoi m'as-tu dit que ma grand-mère était morte alors qu'elle ne l'est pas ? Et pourquoi tes anciens camarades essaient-ils de me tuer ?" Elle fit une pause pendant une seconde avant d'ajouter, "Et je savais que ça ruinerait tout. Alors je ne voulais pas le faire. Mais après quelques jours, je me suis finalement jetée à l'eau."
Rachel protégea ses yeux du soleil afin de pouvoir voir le visage d'Allie. "Et comment ça s'est passé ?"
"Génial," murmura sombrement Allie.
"Raconte-moi."
"J'ai pensé que ça serait mieux si je parlais à maman toute seule," soupira Allie. "Un jour que Papa était dehors, je suis montée la voir et lui ai dit, tu sais, 'hey, est-ce qu'on peut discuter ?'"
Sa mère était en train de ranger le linge, expliqua Allie, mais s'arrêta immédiatement et sourit même lorsqu'Allie s'assit sur la chaîne en face d'elle. Ses sourires s'étaient faits si rares ces dernières années que pendant une seconde, Allie pensa qu'elle n'aurait pas la force de dire ce qui devait être dit. Mais il n'existait aucun autre moyen."
"Bien sûr," lui répondit sa mère en la regardant dans l'expectative, alors qu'elle continuait à plier les chemises en de parfaits rectangles de tissus blancs, jaunes et bleu pâle. "De quoi voudrais-tu parler ?"
Allie se recroquevilla sur le bord d'une chaise et croisa ses jambes, étudiant les ongles de ses orteils fraîchement peints de magenta, qui attiraient l'attention depuis les extrémités de ses sandales.
"Beaucoup de choses se sont produites durant l'été," finit-elle par dire. "Et nous n'en avons jamais parlé. J'ai appris beaucoup de choses... à propos de nous. Notre famille, je veux dire." Comme Allie s'y attendait, le sourire disparut. "J'ai besoin de comprendre ce que tout cela signifie. Je pense que tu es la seule à pouvoir m'éclairer."
"Que voudrais-tu que je t'explique ?" La voix de sa mère restait égale mais Allie percevait la tension dans ses mains alors qu'elle resserrait les chemises qu'elle tenait.
"Isabelle a dit qu'il était temps que tu me parles de Lucinda," dit Allie. "Et je pense qu'elle a raison. Lucinda... elle est ma grand-mère, n'est-ce pas ?"
Durant une infime seconde, Allie pensa que sa mère lui mentirait, et que si elle le faisait, elle ne lui pardonnerait jamais. Mais une seconde passa et ses épaules flanchèrent, elle posa la chemise avant de s'asseoir sur le lit en face d'Allie.
Elle avait l'air, selon Allie, presque soulagée.
"Je crois que j'ai toujours su que tu le découvrirais un jour," dit-elle. "Oui, Lucinda est ma mère - ta grand-mère."
Depuis le temps qu'elle soupçonnait cette réponse, Allie aurait dû être préparée à l'entendre. Au lieu de cela, elle se sentie stupéfiée. Elle s'adossa légèrement sur le dossier de la chaise et fixa sa mère comme si elle ne l'avait jamais vue auparavant.
"Mais pourquoi ? Pourquoi m'avoir menti sur un sujet comme celui-ci ? Toute ma vie j'ai cru que ma grand-mère était morte et tu m'as laissé le penser. On aurait pu apprendre à se connaître..." Sa voix dérailla.
"Je sais que c'est difficile pour toi de le croire," poursuivit sa mère d'une voix douce, "mais tout ce que j'ai fait a toujours été dans le but de te protéger. De te maintenir en sécurité."
"Mais c'est faire quelque chose de terrible," protesta Allie. "Mentir à ton enfant."
Sa mère pris une profonde inspiration. "C'est... c'était quelque chose d'horrible que j'ai fait. Et je suis désolée. Je ne savais pas quoi faire d'autre. Peut-être aurais-je juste dû te dire la vérité - que nous nous étions éloignées. Mais je craignais que si je te le disais, tu insistes pour la rencontrer, et alors tout aurait été réduit à néant."
"Réduit à néant ? Comment ?" demanda Allie, déconcertée. "Comment le fait de connaître ma propre grand-mère aurait tout ruiné ?"
"Parce que dès lors, elle t'aurais eue," dit sa mère sans hésitation. "Et je t'aurais perdue."
"Tout comme tu as perdu Christopher." Les mots d'Allie se firent plus tranchants qu'elle ne l'avait souhaité et sa mère se recourba.
"Je suis désolée," dit immédiatement Allie. "Ce n'était pas juste..."
"Non," répliqua sa mère en l'arrêtant de sa main. "Ne t'excuse pas. C'était juste. Ça fait juste mal."
Allie ne savait pas quoi dire, elle attendit donc, se tordant les doigts sur ses genoux.
"Lucinda," dit sa mère d'une colère abrupte, "est une personne puissante et dangereuse. Elle obtient ce qu'elle désire - elle est comme ça. Rien ne se met en travers de son chemin. Je..." Elle s'arrêta et réfléchit pendant un moment ; quand elle reprit, sa voix était calme. "Quand j'avais ton âge, j'étais très différente d'elle. C'est une personne qui aime tout contrôler, et elle dictait les moindres paramètres de ma vie jusqu'aux détails les plus élémentaires. Ce que je portais, qui je côtoyais, ce que j'étudiais, où j'allais - tout dépendait de sa décision. Au début, je l'ai accepté, mais lorsque j'ai grandi, je me suis rebellée. Je ne voulais pas être comme elle. Je ne voulais pas être riche et pitoyable. Je ne voulais pas de ce qu'elle avait. Je voulais être moi-même. Pouvoir prendre mes propres décisions. Chaque seconde de ma vie était contrôlée par elle jusqu'au jour où je me suis enfuie." Elle dévisagea Allie. "Je pense que si quelqu'un pouvait comprendre ça, cela aurait dû être toi."
Et Allie le fit.
"Je me serais enfuie aussi, dit-elle d'un ton compatissant. "Si elle était comme ça, alors s'enfuir était la meilleure chose à faire. Mais nous mentir à Christopher et à moi n'était pas juste. Je dois prendre mes propres décisions également. De même que toi."
Sa mère baissa les yeux. "Isabelle dit exactement la même chose. Et je suis désolée de ne pas t'avoir fait confiance."
"Isabelle est ton amie, n'est-ce pas ?" demanda Allie. "Vous êtes allées à Cimmeria ensemble."
L'espace d'une seconde, sa mère eut l'air de vouloir le nier. Mais ses épaules s'affaissèrent alors un peu. Elle hocha la tête.
"Tu ne m'as pas dit ça non plus," répliqua Allie de façon insistante.
Les joues de sa mère s'empourprèrent et elle choisit ses mots avec attention.
"Je...t'ai laissé croire qu'Isabelle et Cimmeria m'étaient inconnus. C'était égoïste de ma part, je ne voulais juste pas tout t'expliquer." Elle fit une longue pose avant de reprendre, "Et j'étais en colère contre toi."
Cela surprit Allie. Il était blessant de savoir que sa mère souhaitait délibérément la punir. Mais elle ne laissa rien paraître. Il lui restait encore des choses à apprendre.
"Qui est réellement Lucinda ?" demanda-t-elle. "Tout le monde semble penser qu'elle est une figure super importante. Qu'est-ce qu'elle est... l'autre premier ministre ? La Reine ? Dieu ?"
"Pas exactement," dit sa mère. "Mais presque."
Quelque chose dans le ton de la voix de sa mère intrigua Allie. "Qu'est ce que ça veut dire ?"
Sa mère s'exprima de façon très intelligible. "Son nom de famille - et mon nom de jeune fille - est Meldrum."
Allie poussa un petit cri de surprise.
"Pas. Possible." Elle regarda sa mère incrédule.
"C'est la vérité." Sa mère prit ses mains dans un effort vain de la soulager. "Lucinda Meldrum est ta grand-mère."
Alors qu'Allie achevait son histoire, Rachel se redressa sur sa chaise longue, son visage affichant un étonnement figé.
"Quitte la ville." Dit-elle à Allie avec suspicion. "C'est une blague, hein ?"
"J'ai bien peur que non," dit Allie. "Cette fichue Lucinda Meldrum est ma grand-mère."
"Qui est Fichue Lucinda Meldrum ?"
La petite voix venait de derrière elles, et elles se retournèrent de concert pour découvrir une fille au visage en forme de coeur et une masse de cheveux noirs et bouclés, assise sur un banc tout près, tenant son menton dans ses mains. Une serviette de plage et un canard jaune gonflable à ses pieds.
"Mina, petite espionne !" dit Rachel d'un air accusateur. "Je croyais que tu étais à ta leçon de violon."
"J'ai terminé. Maman a dit que vous étiez près de la piscine et que je devrais venir vous rejoindre."
"L'enfant de dix ans portait une couverture de maillot de bain en éponge, ornée de grosses marguerites roses dispatchées ça et là sur un fond blanc. Elle prenait un ton sur la défensive mais Allie sourit à la façon dont elle ne se laissait pas faire contre sa grande soeur.
"Allie, je te présente ma curieuse petite soeur." soupira Rachel.
Mina dirigea son sombre regard vers Allie. "Qui est Lucinda Meldrum ?"
Rachel répondit à sa place. "Tu l'as déjà vue à la TV, Midget. C'est la dame avec les cheveux gris qui est toujours interviewée à propos d'argent. Tu sais, celle qui portait cette veste en soie verte que tu aimais, avec le dragon dessus."
"Oh celle là !" la fillette sourit alors qu'elle faisait le rapprochement. "Je l'aime bien. Pourquoi lui parlent-ils toujours d'argent ?"
Cette fois, Allie prit la parole. "C'est une sorte d'experte. Elle a dirigé pas mal de banques, puis elle a été... Comment vous appelez ça ?"
"Chancelière," dit Rachel.
"Oui, la première femme Chancelière. Et maintenant elle est à la tête de ce machin." Elle tourna à nouveau la tête vers Rachel.
"Le Comité International des Banques." répondit automatiquement Rachel.
"Oui, ça. Elle est super connue pour être très intelligente," dit Allie. "Tous les gens importants lui demandent des conseils."
"Elle a de jolis cheveux," dit Mina.
"Elle a effectivement de jolis cheveux," confirma Allie.
"C'est ridicule," murmura Rachel. "On ne peut pas avoir une vraie conversation alors que Midget est ici."
"Si vous pouvez !" répliqua Mina d'un air offensé. "Et ne m'appelle pas Midget."
"Bien sûr qu'on peut," dit Allie. "Tu peux me dire de quoi a l'air ta grand-mère. Est-ce qu'elle ressemble à la mienne ?"
"Non ! La mienne n'est pas aussi jolie et elle vit dans le Yorkshire."
Rachel soupira d'un air dramatique mais Allie, secrètement soulagée de ne plus avoir à parler de sa propre famille, fit semblant de ne rien remarquer.
"Parle-moi d'elle."
***
"Alors, que comptes-tu faire ?"
Il était plus tard dans la soirée, alors que Rachel et Allie étaient assises sur le lit dans la chambre d'Allie, dans leurs pyjamas, discutant tranquillement.
"Je ne sais pas." répondit Allie en tortillant son pouce nerveusement. "Je veux dire, je sais qu'elle est au courant de mon existence parce que j'ai trouvé cette note de sa part dans mon dossier scolaire. Donc il semblerait que... si elle désirait me rencontrer elle aurait fait quelque chose pour que cela se produise." Elle rapprocha ses pieds et entoura fermement ses bras autour de ses genoux. "Je veux dire, c'est Lucinda Meldrum. Elle peut faire tout ce qu'elle veut."
"Oui, mais..." répliqua Rachel en s'adossant au pied du lit, plissant son nez tout en réfléchissant "...elle et ta mère doivent avoir un quelconque accord stipulant qu'elle n'essaiera pas de te contacter. Selon moi, on dirait que ta mère est la présidente de la Brigade Anti-Lucinda. Alors peut-être qu'elle ne fait que respecter cet accord jusqu'à ce que tu entres en contact avec elle."
Allie reposa sa joue sur le haut de ses genoux et regarda par à fenêtre ouverte. Une brise fraîche fit flotter les rideaux jaune pâle.
"Savoir que j'ai une grand-mère encore en vie me donne envie de la rencontrer. Est-ce que ça semble bizarre ?" Elle redressa la tête pour rencontrer les yeux de Rachel. "Je veux dire, mes parents craignent un peu en ce moment, même si je comprends qu'ils font des efforts. Mais Lucinda pourrait être... genre, super, pour tout ce que je sais. Mais d'un autre côté, je veux qu'elle me désire. Je ne veux pas me précipiter vers elle du style..." elle leva ses mains comme si elles soulevaient un bol imaginaire, "Puis-je avoir un peu de grands-parents, s'il vous plait mademoiselle ?"
"Je t'entends bien," dit Rachel. "Et je ne sais pas ce que je ferais si j'étais dans tes bottes."
"Tes pieds te feraient mal parce qu'ils sont beaucoup plus grand que les miens," dit Allie.
"Qu'importe, tu sais ce que je veux dire." répliqua Rachel sans sourire, et Allie lui rendit un visage de rédemption. "Je te dirais une chose," dit Rachel, s'étirant les jambes. "J'aimerais que tu me laisses en parler à mon père. Il connaît tout. Tu peux totalement lui faire confiance."
Allie secoua vigoureusement la tête. "Non ! Je veux dire, et bien, pas encore." Elle adoucit son ton. "A-t-il dit quoi que ce soit à propos de ce qui se passe à l'école ? Est-ce qu'ils en savent plus au sujet d'où se trouve Gabe ?"
Rachel secoua la tête. "Pas beaucoup. L'histoire de Jo était confuse, il ne lui avait visiblement pas tout dit. Mais ils pensent qu'il travaillait avec Nathaniel depuis un bon moment. Apparemment il devait se faufiler en dehors quand il était supposé faire ses exercices durant la Night School, et il allait rencontrer Nathaniel."
"Quel enflure finie," fulmina Allie. "Je veux dire, il a trahi des gens qu'il avait connu toute sa vie. Il a mis la vie de sa propre petite-amie en danger. Qui peut peut... faire ça ?"
"Il y a un truc," dit Rachel, "Papa a dit quelque chose qui me fait penser que Gabe n'a pas agit seul."
Allie senti un frisson parcourir sa peau. "Je ne... Qu'est ce que tu veux dire ?"
Se rapprochant, Rachel baissa d'un ton jusqu'à chuchoter. "Une nuit je l'ai entendue parler à Maman. Il a dit que Gabe n'était pas le seul qui était d'accord avec Nathaniel." Un pli se forma sur le front de Rachel et l'inquiétude se lut dans ses yeux. "Il y en a d'autres."
"Quoi ?" Allie chuchotait également à présent. "A l'école ?"
La voix de Rachel était à peine audible. "Et parmi le conseil."
Allie la fixa du regard. "Mais ils ne... tu sais... feraient rien. N'est ce pas ?"
Haussant les épaules, Rachel leva ses mains vides.
"Que pouvons-nous faire ?" demanda Allie.
"Je pense que si l'on disait à Papa ce que l'on sait à propos de Lucinda, il nous en dirait probablement plus, il pourrait être en mesure d'aider. Alors nous ne serions plus dans la plus totale obscurité."
Rachel avait l'air confiante et Allie devait admettre que ses paroles avaient du sens. Mais Carter avait été totalement opposé au fait de mettre d'autres personnes dans la confidence au sujet d'informations qu'ils pourraient rassembler durant les quelques semaines des vacances d'été.
"Laisse-moi y réfléchir," dit-elle.
"Réfléchis vite," dit Rachel.
***
Durant les quelques jours qui suivirent, Allie trouva toutefois de plus en plus facile de mettre de côté Gabe, Nathaniel, et tout ce qui s'était produit les semaines passées, alors qu'elle trouvait aisément ses marques au sein de la vie de famille des Patel. Les après-midis pluvieux étaient passés à lire des livres et jouer à des jeux.
Parfois, Allie voyait des personnes vêtues de vêtements sombres, se mouvant à travers les arbres qui entouraient la maison. Entrapercevoir leurs mouvements du coin de l’œil la faisait sursauter. Mais elle savait qu'il s'agissait du service de sécurité de M. Patel. Au bout d'un moment, il finit par s'y habituer. Très vite, elle ne les remarqua même plus.
Les déjeuners étaient le théâtre de conversations animées sur des sujets intarissables. Parfois, Mme Patel lançait un sujet au début du déjeuner et celui-ci était discuté jusqu'à ce que les plats à desserts fussent débarrassés. Une nuit, ils passèrent l'intégralité de la soirée à débattre du fait que manger de la viande était ou non justifiable. ("J'adore les poulets," dit Mina à un certain moment, fronçant les sourcils d'un air déterminé. "Mais j'aime aussi le poulet rôti tout autant !") Au final, ils décrétèrent qu'ils étaient tous omnivores (après que Mme Patel ait expliqué ce qu'étaient des omnivores), mais Allie et Mina s'accordèrent sur le fait qu'elles ne mangeraient jamais du chevreuil parce qu'ils étaient trop beau, et Rachel ajouta qu'elle ne mangerait jamais de poulpe car ils étaient trop intelligents.
"Omnivores," s'esclaffa Mme Patel, "avec des limites."
Lors de sa dernière journée complète avec la famille, Allie se tint proche de Mme Patel au bord du paddock pendant que Rachel scellait la docile Sage.
"C'est un cheval adorable," lui assura la mère de Rachel. "Très douce."
Allie hocha la tête et se concentra sur une respiration calme. Toute la semaine, elle avait observé les autres monter. Cela avait l'air assez simple.
Mais de plus près, les chevaux sont... énormes.
Sa robe couleur acajou, sa crinière et sa queue noires de jet, la jument dodue attendait patiemment pendant que Rachel serrait la sangle et rallongeait les étriers, toute en mouvements rapides et experts. Tout près, Mina tenait les rênes des deux autres chevaux.
Une fois que tout fut en place, Rachel fit un signe à Allie.
"Bonne chance," murmura Mme Patel, lui serrant la main.
Sa main sur le pommeau, Allie hésita l'espace d'une seconde. Tout le monde la regardait - Rachel et Mina, Mme P. appuyée contre la barrière toute proche. Même Sage avait tourné la tête comme pour s'assurer de ce qui se passait.
"Mets juste ton pied là," expliqua Rachel, tapotant l'étrier. "Ensuite soulève-toi jusqu'en haut."
Je peux faire ça, se dit Allie. Je ne vais pas avoir peur d'un cheval.
Plaçant sa botte gauche dans l'étrier en métal et en cuir, elle se hissa en selle. C'était plus facile qu'elle ne l'avait imaginé - en une seconde, elle était en place. Pour la première fois, elle sentit cette étrange sensation que procurait un cheval sous elle - chaud et vivant. Et en mouvement. A chaque fois que Sage bougeait, il lui semblait qu'elle allait perdre l'équilibre. Alors que le cheval changeait de pattes, Allie s'accrocha au pommeau comme si un infime mouvement pouvait l'envoyer valser sur le sol.
Par quelques derniers mots d'encouragements, Rachel lui tendit les rênes et se dirigea vers Angelica, une énorme jument grise d'une crinière d'un blanc pur. Mina avait déjà sauté souplement sur Petra, un petit cheval qui grattait fermement la paille sur le sol.
Angelica trotta à ses côtés, Rachel avait l'air détendue sur la selle ; Allie tenait les rênes et le pommeau comme si sa vie en dépendait.
"La clé, c'est de se détendre et de faire confiance à Sage. Elle ne te fera jamais de mal." Le conseil de Rachel était si sensé qu'Allie se sentit comme une idiote d'avoir été effrayée. "Tiens les rênes comme moi et bouge simplement avec elle. Essaie de détendre tes épaules un peu - tiens ton dos droit et accroche-toi avec tes jambes, pas tes mains. Fais-lui confiance."
Allie détendit donc sa pression sur le pommeau. Remuant ses épaules pour décontracter ses muscles raidis, elle conduit Sage fermement grâce à la pression de ses cuisses. Elle prit une profonde inspiration puis fit signe à Rachel.
"J'y arrive," dit-elle.
Rassurée, Rachel et Angelica prirent de l'avance.
Traînant à l'arrière, Allie caressa l'épaisse et soyeuse crinière de la jument entre ses doigts.
"Ok, Sage," murmura-t-elle, "Rachel dit de te faire confiance, alors je te fais confiance. Laisse-moi venir à bout de cette séance en vie et tu auras droit à la plus belle carotte que tu aies vue de toute ta vie. Et aussi des carrés de sucre. Et du foin."
Les longues oreilles de Sage remuèrent et elle mordilla la bride de ses énormes dents carrées. Allie sourit, et pour la première fois, elle se détendit, juste un peu.
"Allez," appela Rachel, se retournant sur sa selle pour voir Allie et relâchant la pression sur Angelica au petit pas. "Un tour de paddock pour commencer, ensuite nous essayerons le champ".
Alors que Sage suivait instinctivement Angelica, le balancement étranger prit Allie au dépourvu et elle s'accrocha aux rênes. Sage se cabra, agitant la tête de façon contrariée, et Allie fut repoussée sur la selle , s'accrochant au pommeau.
"Retiens-là avec tes genoux," cria Mme Patel depuis le bord du paddock. Serrant les dents avec détermination, Allie relâcha ses reins et toucha le cheval avec ses talons, de la même façon que Rachel. Sage tenta d'avancer. Cette fois, Allie était préparée à ce mouvement, et elle s'accrocha avec ses jambes.
Doucement, les trois chevaux formèrent un cercle plein dans le paddock boueux. Une fois qu'ils l'eurent complété, Mme Patel ouvrit les barrières de bois et les poussa sur le côté. Rachel franchit le seuil en premier, retenant Angelica au pas. Mina suivit, et enfin Sage se traîna doucement à la suite.
"Tu te débrouilles bien, Allie," dit Mme Patel, caressant doucement Sage sur le cou alors qu'elle passait.
"Merci, Mme P., dit Allie, le sourcil froncé par la concentration.
Rachel fit demi-tour pour monter aux côtés d'Allie.
"Comment tu te sens ?" demanda-t-elle, veillant à la position d'Allie avec une expression critique.
"Bien, je pense." haleta Allie à force de s'agripper à Sage. "Mais jusque là, je dois dire que je ne suis pas certaine de ce que tu y trouves."
Rachel ria. "Donne-toi du temps. C'est comme..." elle réfléchit pendant un moment. "faire du skate. La première fois que tu fais du skate, ce n'est pas très marrant, mais plus tu en fais, plus ça le devient."
Alors que les chevaux paissaient dans la verdure, Mina intima à Petra un trot et pris de l'avance. Rachel retint Angelica pour rester auprès d'Allie mais, observant Petra avec intérêt, Sage se lança d'elle-même. Allie trouva le rythme rapide plus fluide, regarda Rachel et sourit.
"Je crois que je prends le coup de main," dit-elle.
"Continue," cria Rachel, accélérant légèrement pour garder Mina en vue.
Allie relâcha un peu plus les rênes, et se pencha sur Sage pour lui murmurer, "Tu peux aller plus vite."
Comme si celle-ci l'avait entendue, Sage se lança dans un trot. Au début, Allie se sentit comme un chat dans une machine-à-laver, s'accrochant à la scelle et à la crinière de Sage, mais elle se souvint ensuite de presser le cheval avec ses jambes et de se mouvoir avec la bête. Soudainement, la course se fit plus douce et sûre. Elle rit de cette pure exaltation.
De retour aux étables un peu plus tard, alors qu'elle descendait de cheval sur le sol, elle enroula ses bras autour du coup en sueur de Sage.
"Merci," murmura-t-elle, inspirant le parfum légèrement sucré de la peau du cheval. "Je te dois une giga énorme carotte."
***
"C'est tout ?" demanda Raj Patel, survivant au démarrage de la voiture remplie à l'extrême, son expression dubitative.
"Je pense." dit Rachel, vérifiant autour d'elle si elle n'avait rien oublié.
"Il vaudrait mieux." Il ferma le coffre jusqu'à ce que la serrure s'enclenche. "Il n'y a plus assez de place ici pour une autre sandale."
"Oups. J'ai oublié mes sandales !" dit Rachel, l'air paniqué. Alors qu'il lui lançait un regard exaspéré, elle pouffa de rire. "Je plaisante, papa."
Observant l'échange taquin, Allie sourit. Durant la semaine qu'elle avait passée à l'abris dans la maison de campagne tentaculaire des Patel, elle avait appris à apprécier la façon dont ils se comportaient les uns avec les autres, cette sorte d'affection ordinaire. Il était clair qu'il ne serait venu à l'esprit d'aucun d'entre eux qu'un jour viendrait où ils pourraient ne plus s'adorer mutuellement. Même lorsqu'ils étaient fâchés entre eux, ils se faisaient des câlins.
C'était si différent de sa propre vie de famille... Repenser au peu de temps qu'elle avait passé à la maison avant que les hommes de main de Nathaniel ne se montrent la fit s'assombrir. Qui savait quand elle aurait la possibilité de retourner là-bas. Et une fois de plus, voulait-elle réellement y retourner ?
"Allez, Allie !" la voix de Rachel la ramenant à la réalité. "Arrête de rêvasser à n'importe quoi et monte en voiture."
"Je ne pense pas à n'importe quoi", répondit-elle vaguement alors qu'elle saisissait la poignée de la portière.
Cela faisait une bonne semaine, mais le temps était venu de retourner à l'école. L'air était lourd, remplit de l'humidité du matin, et le ciel était mélange de gris foncé. Le vent se leva du Sud, et elle pu sentir les chevaux dans l'air - un parfum de terrestre et chaud. L'automne était en chemin.
"Je vais dire à ta mère que nous sommes prêts à partir," dit M. Patel, se dirigeant vers la porte d'entrée.
"J'aurais préféré qu'on puisse rester plus longtemps," dit Allie alors qu'il s'éloignait.
"C'était bien, hein ?" dit Rachel. "Mais je dois avouer que j'ai assez hâte de rentrer. Je veux voir comment les réparations avances après le feu. D'autre part, j'ai plus besoin de lire, et de moins entendre Papa essayer de me convaincre d'intégrer la Night School."
"Il veut vraiment que tu l'intègres." dit Allie en lui lançant un regard de côté. "Tu n'es même pas tentée ?"
Le regard que Rachel lui adressa était méprisant.
"Je n'essaye pas de te pousser à y rentrer." répliqua Allie sur la défensive, les mains relevée. "Je me demande juste pourquoi tu ne l'as jamais fait."
Regardant la maison alors que ses parents ressortaient de la porte principale, sa sœur Mina traînant les pieds par derrière, Rachel haussa les épaules.
"Cette histoire de police et de voleurs n'est juste pas faite pour moi," dit-elle d'une voix faible avant de sortir de la voiture pour chatouiller Mina qui pouffait d'un rire hystérique et reculait.
"Je te revois bientôt, Midget."
"Pas si je te revois en premier, Géante," répondit Mina d'un air espiègle.
Allie regardait cette interaction entre sœurs avec une touche de mélancolie quand la mère de Rachel interrompit ses pensées en la serrant dans ses bras.
"Tu vas nous manquer, Allie," dit-elle.
"Vous allez tous me manquer également, Mme P." Alors qu'Allie l'enlaçait en retour, ses doigts contre le doux cachemire de son cardigan, elle fut surprise de sentir des larmes se former dans ses yeux. Elle s'éclaircit la gorge. "Merci de m'avoir hébergée."
Mme Patel la retint fermement par les épaules. "Tu es la bienvenue quand tu veux."
Alors que Rachel et sa mère faisaient leurs adieux, Mina la rejoint et glissa un papier dans le creux de la main d'Allie.
"Maman l'a prise. Je voulais que tu l'aies comme ça tu pourrais te rappeler de nous et revenir," murmura la petite fille d'un air conspirateur.
Baissant les yeux, Allie découvrit une photo d'elle-même sur le dos d'un cheval, les rênes relâchées entre ses mains, riant. Voyant sa propre image, confiante et heureuse, les larmes qu'elle avait retenues toute la matinée se déversèrent et elle enlaça la fillette dans un rapide câlin déterminé.
"Merci Mina," murmura-t-elle, essuyant ses larmes. "Je l'adore. Je suis certaine que je te reverrai bientôt."
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Traduction : Night School France
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