Parce qu'elle vous aime très fort, C.J. Daugherty vous a concocté un petit bonus pour célébrer ces fêtes de fin d'année. C'est ainsi que nous vous proposons donc de découvrir, non pas un, mais DEUX chapitres inédits ! Ils sont tous les deux extraits du 2e tome de la saga, Night School : Héritage.
Retour sur la soirée où Allie retrouve son frère Christopher pour la première fois lors d'un rendez-vous secret dans les bois, près du ruisseau... découvrez ces événements du point de vue de Sylvain cette fois.
Accroupi très bas parmi les fougères, Sylvain observait aux alentours à travers un rideau d’arbres. A cette distance, Cimmeria était sombre et tranquille. Ses larges briques et son toit dentelé avaient l’air imposant et silencieux face au ciel nocturne. Rien ne remuait.
Il jeta un nouveau coup d’œil à sa montre. Allie était en retard. Il commençait à se sentir nerveux.
Ils avaient prévu jusqu’au moindre détail de cette nuit mais cela n’en demeurait pas moins une opération risquée. Les gardes auraient pu faire leur ronde au mauvais moment et la voir dans la cage d’escalier. Un autre étudiant aurait pu également se lever pour aller chercher un verre d’eau et aurait vu Allie se faufiler à travers le couloir.
Si quelqu’un la dénonçait elle serait attrapée bien avant de pouvoir quitter le bâtiment.
Ses mâchoires se serrèrent et il tenta de percer de son regard l’obscurité. Il ne se laisserait pas aller à penser aux pires éventualités. Au sujet de Gabe ou de Nathaniel.
Si quoi que ce soit lui arrive…
Ses sentiments pour Allie étaient intenses – dangereusement intenses. Il n’avait jamais éprouvé quelque chose d’aussi fort envers quelqu’un dans sa vie. Et personne ne savait, mieux que lui, que cela n’avait aucun sens. Etre amoureux de la petite amie de quelqu’un d’autre était stupide. Et il ne faisait pas de choses stupides.
Mais cette fois – cette unique fois – il ne semblait pas parvenir à se contrôler. Il y avait quelque chose avec elle qui l’attirait vers elle. Il n’avait jamais rencontré quelqu’un d’aussi fragile et d’aussi fort en même temps. Il ne savait pas qu’il était possible que ces deux traits existent chez une même personne.
Elle le fascinait. Et si elle avait pu être sa…
… s’il n’avait pas été un tel enfoiré.
De part et d’autre, les mains de Sylvain se contractèrent et se muèrent en poings serrés. Tous les muscles de son corps se raidirent de dégoût de soi-même.
Merde [en Français dans le texte], pourquoi est-ce que je pense à ça maintenant ?
Fermant fortement les paupières, il tenta d’effacer ses pensées.
Grâce à toute la force de sa volonté, ses poings se desserrèrent. Il se secoua profondément, détendant ses muscles.
Il ferait n’importe quoi pour se racheter auprès d’elle. Pour à nouveau gagner sa confiance. Pour lui prouver qu’il avait changé. Et que c’était la raison pour laquelle il était ici maintenant. Enfreindre les Règles qu’il avait juré de respecter pour une fille qu’il ne pourrait jamais avoir. Parce qu’elle lui avait demandé de le faire.
Se penchant en avant, il regarda vers l’école à nouveau.
Il eut le souffle coupé. Dans la lueur bleutée de la lune, quelque chose bougea.
Il sortit une petite paire de jumelles de sa poche et les approcha de ses yeux.
Là.
Penchée et se déplaçant rapidement, Allie courait à travers la pelouse, ses pas si rapides et légers que de cette distance, elle semblait voler.
En un soupir, Sylvain jura. Il avait été si perdu dans ses pensées qu’il ne l’avait pas vue quitter le bâtiment.
Rapidement,il sonda les environs autour d’elle en quête d’un signe de poursuite mais ne détecta rien. Elle était en sécurité pour l’instant. Il dirigea ses jumelles vers elle et la regarda alors qu’elle pénétrait dans les bois tel un oiseau de nuit.
A la seconde où elle atteint la ligne sûre formée par les arbres, il remit ses jumelles dans sa poche et partit à sa rencontre.
Ses yeux étaient à présent parfaitement accoutumés à l’obscurité et ses pas étaient silencieux et assurés. Avec la facilité amenée par la pratique, il évita des brindilles et des pierres éparses, tout ce qui aurait pu provoquer un bruit. Il se déplaça dans les bois sans aucun son.
Tous ses sens étaient en alerte. Il était réceptif à tous les bruissements et craquements de la forêt alors qu’il cherchait un quelconque signe qu’Allie aurait pu être suivie par qui que ce soit mis à part lui.
Il était doué dans le pistage ; très bon en auto-défense. Mais Gabe était là-dehors quelque part ce soir. Et il était plus doué encore.
Allie était silencieuse et précautionneuse mais il parvint malgré tout à la trouver facilement, même dans le noir. Elle ne disposait pas autant d’entraînement que lui. Il entendit une éclaboussure étouffée alors qu’elle marcha dans une flaque. Le craquement d’une brindille se brisant sous ses pieds.
Se dissimulant derrière un buisson de houx sauvage, il l’observa tracer son chemin le long du sentier vers le ruisseau. A nouveau, il balaya les environs autour d’elle. Rien. Malgré le chahut qu’elle provoquait, personne ne la suivait.
Au loin, Allie escalada un tronc d’arbre renversé, se frayant un chemin bruyamment entre les branchages. Sylvain grimaça.
Et bien, si Gabe ne savait pas qu’elle était là avant, maintenant c’est le cas.
Après cela, Sylvain n’essaya plus de se cacher de quiconque aurait pu l’observer. Si Gabe et Nathaniel traquaient Allie, ils devaient savoir qu’elle n’était pas toute seule.
Le son du crépitement de l’eau l’avertit qu’ils se trouvaient près du ruisseau où le rendez-vous devait se tenir et il pressa le pas dans sa direction, vers la cachette qu’il avait choisie plus tôt ce même jour.
De là,il observa Allie tracer timidement son chemin vers la rive. Les pluies récentes avaient gonflé le ruisseau, rendant ses eaux troubles. La lune transforma l’écume en poussière d’argent.
Elle semblait si seule, se tenant là dans le noir, les mains se serrant anxieusement de part et d’autre de son corps, le cœur de Sylvain battait pour elle. Il savait ce que cela représentait pour elle.
Un mouvement soudain agita les arbres de l’autre côté du ruisseau et Allie leva la tête dans sa direction. Sylvain s’accroupit plus encore, alors qu’un jeune homme émergeait dans le lit boueux du ruisseau. Il était difficile d’apercevoir son visage depuis cet angle mais il pouvait entendre sa voix.
« Allie. » La manière dont il prononça son nom était à la fois familière et timide.
Même depuis cette distance, Sylvain pu voir son corps se tendre.
« Christopher, » dit-elle, comme si elle ne réalisait pas que cela était vrai.
Qu’il s’agissait du frère qui avait ruiné sa vie.
Penchant sa tête d’un côté, Sylvain étudia l’homme les yeux écarquillés. Il avait été curieux à son sujet depuis que Jo lui avait raconté la façon dont Allie avait atterri à Cimmeria. Comment son frère avait fui, laissant un simple mot derrière lui. La façon dont la famille avait implosé. Comment Allie avait peiné à ramener ses parents dans son sillage en se mettant dans des situations compromettantes encore et encore.
Comment, à l’inverse, cela avait juste éloigné tout le monde les uns des autres.
Et maintenant, elle était là, à nouveau. Mettant sa vie en danger. Essayant encore de reconstruire sa famille.
Christopher fit un pas de plus et la lueur de la lune éclaira son visage. Il avait les yeux gris – mis à part cela, il y avait de petites similarités dans leurs physiques. Il était grand et mince, se tenant debout nerveusement. Il jetait constamment des regards par-dessus son épaule, comme si quelqu’un pouvait apparaître derrière lui.
Au début, ils discutèrent de sujets familiaux, et de combien ils s’étaient manqués. Christopher l’appela « chaton » et Sylvain pu voir combien cela la touchait. Cela devait être son petit surnom.
Puis leur conversation dériva sur Lucinda et l’expression de Christopher changea. Il avait l’air énervé à présent. Menaçant.
Sylvain l’observa de près, à la recherche d’un quelconque signe qu’il pourrait lui faire du mal. Mais sa colère semblait dirigée ailleurs.
« Donc tu as pigé qu’elle nous a toujours menti ! » disait Christopher.« Et que notre mère et Isabelle conspirent pour que nous ignorions tout de notre propre famille. Et que, maintenant, notre grand-mère... » Il prononça ce dernier mot avec mépris. « …nous dénie notre héritage familial. Tu es au courant de cela, n’est ce pas ? »
Allie leva les mains en signe d’apaisement. « Attends, attends, attends… », son ton se voulait rassurant mais sérieux. Elle n’avait plus l’air effrayée à présent. Maintenant, elle paraissait vigilante. Elle lui parlait désormais d’égal à égal, et non plus comme une petite sœur. « Comment Lucinda peut-elle nous dénier quoi que ce soit ? »
Tu es une fille intelligente, pensa Sylvain. Ne le laisse pas t’embrouiller l’esprit.
« Elle refuse de nous reconnaître comme membres de sa famille, Allie. » dit Christopher. Il avait l’air exaspéré. « Comment peux-tu l’ignorer ? Tout ça, c’est à cause d’Isabelle. Elle s’est glissée dans les bonnes grâces de Lucinda pour prendre la place de notre mère. La dernière chose qu’elle souhaite, désormais, c’est de voir deux jeunes, qui ont de véritables liens du sang avec Lucinda, prendre leurs justes places d’héritiers. C’est pour ça qu’elle te garde à Cimmeria où elle peut te contrôler complètement. »
Les yeux de Sylvain s’écarquillèrent. Ce qu’il racontait était ridicule. Mais plus Christopher parlait, plus véhément il devenait. A présent, Allie était juste entrain d’essayer de le calmer et de le pousser à dire quelque chose de plus utile. Son but était de découvrir quels étaient les plans de Nathaniel.
« Tu ne la connais pas, Chris, » dit Allie. « Elle n’est pas comme ça. Elle tient vraiment à moi… et à notre famille.»
« Ah oui, tu crois ça ? » La rage qui enflammait précédemment ses premiers mots s’était éteinte. Elle avait été remplacée par du givre. « Dans ce cas, pose-toi cette question : pourquoi a-t-elle menti au sujet de la mort de Ruth ? Et si jamais tu mourais, que dirait-elle à ton sujet ? »
Quoi ? Sylvain fixa Christopher en signe d’incrédulité. Est-il en train d’essayer de convaincre Allie qu’Isabelle est aussi mauvaise que Nathaniel à cause de ce qui s’est passé avec Ruth ?
C’était ridicule. Gabe avait tué Ruth. Après ça, Isabelle n’avait pas d’autre choix. L’incident devait être couvert. Avec Nathaniel qui manipulait la police, tout scandale aurait fait tomber Isabelle, et peut-être détruit la réputation de toute l’école.
Allie comprenait certainement cela ?
Mais dans la lueur de la lune, il vit les épaules d’Allie s’effondrer. Les mots de Christopher avaient produit l’effet escompté. Il avait insinué en elle le doute au sujet du seul adulte en qui elle avait encore confiance.
C’était une chose cruelle et sans cœur que de lui faire subir cela. Et Sylvain aurait bien aimé frapper son frère en pleine face pour cela, mais cette scène aurait du être rejouée. Il demeura donc caché et les laissa parler. Christopher faisait à présent l’éloge de Nathaniel.
« Il va tout changer. Il veut réparer ce qui ne tourne pas rond dans le monde parce que les dirigeants en place sont mauvais. Il compte les remplacer par des personnes beaucoup plus fiables. Tu as saisi ce qu’est Cimmeria, n’est ce pas ? Et tout ce qu’il y a autour ? Si Nathaniel dirige l’Organisation, il pourra vraiment le faire, Allie. Il pourra tout changer. Tout arranger. »
Putain [en français dans le texte], pensa Sylvain, dégoûté. C’est un idiot. Il a pris le parti d’un dictateur et maintenant il a besoin qu’elle se joigne à lui pour ne pas réaliser qu’il a fait une terrible erreur.
Allie posa toutes les bonnes questions, essayant de glaner plus d’informations. Christopher redevint à nouveau charmant, parlant des jeux auxquels ils jouaient quand ils étaient enfants, des embrouilles dans lesquelles ils s’étaient fourrés.
Enfin, quelqu’un vint pour lui. Sylvain put juste apercevoir un homme à travers les arbres mais rien de plus. Il murmura quelque chose à Christopher, qui se retourna vers Allie et lui dit subitement au revoir.
C’est alors qu’ils disparurent dans la nuit aussi vite qu’ils étaient arrivés.
Une fois qu’ils furent partis, Allie se tenait toujours droite, seule.
Ses mains s’entremêlèrent en face d’elle, alors qu’elle observait le rapide court d’eau en contrebas.
Sylvain dut se retenir de se précipiter près d’elle. Elle devait faire ça toute seule. En silence, il l’enjoua de se reprendre, de suivre le plan.
Comme si elle avait entendu ses pensées, elle s’étira et essuya les larmes qui perlaient sur ses joues d’un simple coup de main. Puis, d’un pas lent mais déterminé, elle tourna le dos au cours d’eau et suivit le chemin rocailleux jusqu’à la chapelle, comme ils l’avaient décidé.
La suivant à distance, Sylvain s’accorda le droit de souffler. Ils avaient réussi. Le plan avait fonctionné sans anicroche. Tout ce qu’il leur restait à faire à présent était de rentrer à l’école. Ils pourraient alors discuter de tout ce qu’ils avaient appris. Et décider de quoi faire ensuite.
Il réfléchissait à ce qu’il lui dirait, comment aborder les choses de la meilleure façon, quand Allie disparut.
Une minute, elle était là sur le chemin, la seconde d’après, elle était partie.
Sylvain fronça les sourcils en fixant l’endroit précis où elle devait se trouver. Était-elle tombée ?
Ils’immobilisa, retenant sa respiration, attendant qu’elle réapparaisse.
Il entendit alors un grognement sourd, comme si quelqu’un soulevait quelque chose de lourd.
Son cœur tressauta et il saisit la branche d’arbre près de lui.
Gabe apparut dans la lueur de la lune. Dans ses bras, il tenait Allie tel un étau. Elle ne bougeait pas.
***
Tout se déroula au ralenti.
Sylvain n’avait aucune autre option que de réagir. Gabe se déplaçait rapidement et il n’essayait pas d’être discret. Sylvain fonça à travers les bois, le traquant de la même façon qu’il avait traqué Allie plus tôt. Seulement maintenant, son cœur était empli de haine.
La haine l’emplissait avec une claire froideur. La haine décuplait ses sens et l’aidait à se mouvoir rapidement et tout en fluidité. La haine lui donnait un but.
Gabe avait tué Ruth et les avait tous trahis. Il était vicieux. Sylvain devait éloigner Allie de lui.
Il gardait ses yeux fixés sur son corps tout en courant, souhaitant qu’elle se meuve. Elle était tellement inerte, aussi désarticulée qu’un jouet entre l’étreinte de Gabe.
Après une longue et douloureuse minute, elle remua enfin. La bouffée de soulagement affaiblit les genoux de Sylvain.
Elle allait bien.
Elle bougea tout d’abord doucement, puis elle se débâtit entre les bras de Gabe, déterminée à s’échapper. Mais ses mouvements étaient inefficaces. Sylvain pouvaient voir qu’elle paniquait.
Allez, Allie, lui intima-t-il en silence. Rappelle-toi tes entraînements.
Il était plus proche d’eux désormais. Si Gabe avait regardé à sa gauche, il l’aurait vu, marchant dans ses pas. Mais les yeux de Gabe étaient rivés droit devant, alors qu’il marchait avec un but implacable.
Sylvain réalisa qu’il devait y avoir une voiture qui les attendait un peu plus loin. Ils étaient en train d’enlever Allie… pour Nathaniel.
Elle avait cessé de se battre à présent. Sylvain espérait que cela signifiait qu’elle avait mis au point un plan.
C’était en effet le cas. Sans prévenir, elle releva les jambes et lança ses pieds en arrière, direct sur l’entrejambe de Gabe.
Même Gabe, avec tous ses entraînements et sa force, ne pouvait supporter ce genre de coup bas.
Hurlant de douleur, il se plia en deux, relâchant son étreinte sur Allie, qui s’écroula sur le sol dur.
Elle se remit rapidement de sa chute et rampa, tentant de s’éloigner mais Gabe, le souffle encore coupé, n’en avait pas encore fini. Vif comme un serpent, sa main saisit sa cheville, la retenant en arrière.
Criant de frustration et de douleur, Allie frappa violemment sa main mais la prise de Gabe était solide.
Sylvain courait à présent du plus vite qu’il pouvait. Repérant une lourde branche semblable à un bâton sur le côté du sentier, il s’en saisit sans casser aucune brindille et se rua dans leur direction. Mettant toute sa vitesse et sa force dans son arme, il frappa lourdement Gabe à l’arrière de la tête.
Le craquement sourd que produisit le bout de bois contre le crâne de Gabe se répandit comme un écho sourd, tel un coup de feu. Le solide garçon gémit et porta sa main à l’arrière de sa tête, relâchant Allie.
Mais il ne s’écroula pas, comme Sylvain l’avait espéré.
Au contraire, il sauta sur ses pieds et se retourna pour lui faire face. Ses yeux de prédateur l’évaluaient sans aucune empathie.
« Sylvain, espèce de salopard, » dit-il, « Ça fait mal. »
Tenant toujours son bâton, Sylvain garda un visage de marbre.
« Bien, » dit-il. « C’était mon intention. »
Du sang coulait d’un côté du visage de Gabe. Ses cheveux blond foncé étaient collants. Dans la lueur de la lune, ils avaient l’air aussi noir que du goudron.
Sylvain savait qu’il devait détourner l’attention de Gabe de Allie, lui laisser une chance de s’enfuir. Il encercla le grand garçon à la manière d’une panthère, rebondissant légèrement sur ses talons comme s’il ne désirait pas moins à cet instant même qu’un combat contre un psychopathe.
« Et bien, » grinça légèrement Gabe, « c’est parti. »
En un mouvement que Sylvain aurait passé des mois à essayer d’apprendre, Gabe se baissa vivement et tournoya sur lui-même si rapidement que son corps devint flou. Pris au dépourvu, Sylvain se précipita sur lui mais Gabe s’était parfaitement positionné. Attrapant la branche d’une force impitoyable, il la tordit dans une manœuvre sans dessus-dessous.
Si Sylvain ne s’en était pas dessaisi, cela lui aurait brisé le poignet.
A présent, c’était le bâton de Gabe.
Regardant au-dessus de lui, Sylvain vit Allie debout sur le bord du chemin, les yeux grands ouverts.
« Cours,Allie. » dit-il d’une voix calme et régulière, espérant que cela la convaincrait qu’il avait le contrôle de la situation.
Il aurait du s’en douter.
Elle agita la tête d’un air buté. « Pas question de partir sans toi. »
Une partie de lui était touchée de ce geste, et lui donnait de l’espoir. Mais si elle restait, tout cela aurait été pour rien.
Son sens erroné de la loyauté les ferait tuer tous les deux.
« File ! », dit-il une nouvelle fois, élevant la voix. « Tout de suite ! »
Gabe, qui lui tournait le dos afin de garder un œil sur Sylvain, prit alors la parole. « Oui, cours Allie. Crois-moi, il vaut mieux que tu ne voies pas ce qui va se passer. Je viendrai m’occuper de ton cas dans une minute. Et tu vas me payer cher le coup que tu m’as foutu dans les couilles ! »
Ses mots lancèrent des sueurs froides le long de la colonne vertébrale de Sylvain mais il maintint ses yeux en direction d’Allie, la suppliant du regard d’accéder à sa requête. A cause de cela, il manqua de justesse la branche que Gabe lança en direction de sa tête.
La seule alerte que Sylvain décela fut le regard horrifié sur le visage d’Allie. Se déplaçant selon son instinct, il feinta à droite mais la branche le frappa si fort qu’elle lui arracha un cri de douleur.
Il ne pouvait plus se disputer avec Allie. Il devait reprendre le contrôle total de la situation.
Personne n’avait jamais battu Gabe à l’entrainement. Il était le meilleur élément que la Night School avait formé. Et ce combat était bien réel.
Reprenant son souffle, Sylvain pivota et abaissa son centre de gravité afin de frapper Gabe violemment de son coude dans le torse. C’était comme frapper un roc. La douleur s’empara de son bras.
Il entendit le souffle quitter le gosier de Gabe, mais l’autre garçon n’avait pas l’air d’avoir aussi mal que lui.
Il recula là où Allie se tenait initialement mais elle était partie.
Il espérait qu’elle courait vite. Si elle pouvait ramener de l’aide ils auraient peut-être une chance.
Mais alors même qu’il y pensait, il savait que c’était sans espoir. Il n’y avait pas assez de temps. Ils étaient à plus d’un kilomètre et demi du bâtiment de l’école. Lorsque les renforts arriveraient il serait mort.
Allie serait malgré tout en sécurité.
Et c’est ce qui importait.
Il lui avait pris des choses quand ils s’étaient rencontrés pour la première fois, le fait de croire en autrui. Sa confiance. Il pouvait au moins lui donner sa chance de vivre.
Regardant son expression, les lèvres de Gabe se muèrent en un rire sardonique. « Tu peux te détendre, elle est partie, maintenant. J’ai du mal à croire que tu traînes avec la petite amie de Carter, Sylvain. Ça ne te ressemble pas. D’habitude tu préfères qu’elles ne soient pas passées dans d’autres bras. »
Ses mots furent la goutte d’eau et Sylvain lança un coup puissant sur son visage, mais Gabe esquiva l’attaque, écartant son pied comme un chat jouant avec une souris, et frappa Sylvain violemment dans la tempe. Ce coup le mis K.O.
Sa tête sonnait. Du sang chaud s’écoulait sur le côté de son visage, troublant sa vue.
Je dois avoir une plaie au-dessus de mon œil, pensa-t-il, essayant de rester rationnel. Ce n’est rien.
« Tu vas devoir essayer plus fort que ça, Sylvain. » le titilla Gabe. « Étais-tu trop occupé à t’amuser avec les restes de Carter plutôt que de t’entraîner ? On dirait qu’elle t’a bien ramolli. »
Le poing de Sylvain le heurta cette fois à la mâchoire, un large coup qui fit se tordre le cou de Gabe.
« Tu vas me le payer. » lui cracha Gabe en rugissant.
Se déplaçant rapidement, Sylvain l’esquivait, lui lançant un coup au genou au passage. Mais Gabe était plus rapide. Attrapant le pied de Sylvain, il le propulsa dans les airs.
Pendant une seconde, le monde vacilla. Sylvain atterrit alors avec tant de violence que tout l’air quitta ses poumons. Une partie de lui ne désirait rien de plus que de rester étendu là. Mais il ne pouvait pas. Allie avait besoin de temps pour rentrer dans l’école. Il devait garder Gabe ici plus longtemps.
Avec un gémissement, il tituba sur son pied. Mais alors qu’il rebroussait chemin sur le sentier, il lui apparut qu’il allait perdre ce combat. Et que Gabe ne s’arrêterait pas avant de l’avoir tué.
« Allez,Sylvain. » dit Gabe, faisant craquer les jointures de ses doigts.« N’abandonne pas maintenant. Je commence tout juste à m’amuser. »
Sylvain perdait du sang sur le sol. Il se retourna alors pour à nouveau faire face à l’ennemi, les poings serrés devant lui.
« Pourquoi es-tu ici ? » s’entendit-il demander.
« Qu’est ce que c’est ? Une question rhétorique ? » L’expression de Gabe devint glaciale. « Je suis ici parce que mon patron m’a envoyé. Je suis ici pour ramener un paquet et rentrer à la maison. C’est tout ce que je voulais faire mais tu t’es mis sur mon chemin. »
Les coups semblaient arriver plus vite cette fois. Les réactions de Sylvain devenaient de plus en plus lentes. Mais il tenait le coup jusqu’à ce que le poing de Gabe le frappe de plein fouet dans la mâchoire. En une fraction de seconde, tout devint noir, et redevint clair à nouveau.
Agitant la tête pour s’éclaircir les idées, il s’extirpa une nouvelle fois de sur le sol glacé.
Il était difficile de voir quoi que ce soit à travers le sang et la transpiration. Gabe lui apparaissait flou et indistinct. La nuit prit un aspect irréel. Comme s’il se regardait se battre et tomber du lointain.
Chaque partie de son corps le faisait souffrir mais il pensait qu’il pouvait toujours frapper. Il batailla corps et âme dans une ultime tentative. Gabe sourit.
Attrapant Sylvain par le bras gauche, Gabe le tordit derrière lui, entraînant une douleur fulgurante le long de son épaule. Sylvain peina à se libérer mais chaque mouvement faisait empirer la douleur. Il s’entendit crier de souffrance.
C’est alors que Gabe enroula son autre bras autour de son cou fin.
Sylvain était coincé.
« Quelle erreur d’amateur, Sylvain ! » s’écria Gabe en jubilant. « Je suis déçu. Tu étais pourtant tellement doué. Qu’est ce que Raj Patel dirait ? »
Il resserra son bras contre la gorge de Sylvain, lui coupant le souffle.
Des vrilles de panique emplirent la poitrine de Sylvain. Il connaissait l’auto-défense ; il avait compris les concepts du combat à mains nues. Il savait donc que ce combat était terminé. Il n’y avait aucun moyen qu’il se libère de cette situation.
Ses mains s’agrippaient sans succès à l’avant-bras de Gabe. Sans oxygène, il n’allait pas tarder à perdre conscience. Il pouvait entendre sa respiration sifflante.
« Oh, Sylvain, » dit Gabe avec pitié. « Quelle façon de t’en aller. Tout seul dans ces bois. Battu par un traître. Tout ça à cause de la copine de Carter. Qui l’aurait cru ? »
Sylvain voulait se battre mais il ne parvenait plus à bouger. Ses mains se relâchèrent le long de ses flancs. Ses yeux se fermèrent.
Gabe avait tord. Ce n’était pas une mauvaise manière de partir en réalité.
Soudainement, il entendit un cri. Le corps tout entier de Gabe s’effondra. Ses bras se relâchèrent et Sylvain se senti libre.
Il ne se rappela pas d’avoir touché terre. La seule chose qu’il savait, c’est qu’Allie était là, la peur dans les yeux, le remettant sur ses pieds de toutes ses forces.
Ça doit être un rêve.
« Allie ? » essaya-t-il d’articuler, mais sa bouche ne semblait pas répondre. Tout son visage semblait brisé.
Son bras était serré contre sa taille et il souhaitait lui dire qu’elle lui faisait mal aux côtes mais il ne parvint pas à le prononcer non plus.
Il regarda aux alentours à la recherche de Gabe et le vit étendu sur le chemin, un pieu brisé enfoncé dans l’épaule.
« Espèce de salope, » haleta Gabe. « Tu m’a poignardé. » Saisissant le pieu, il tenta de l’arracher et hurla de nouveau, abandonnant.
La peur disparut des yeux d’Allie. Faisant place à la rage.
« Espèce de… »
« Oui je sais : salope. » trancha-t-elle, lui coupant sa réplique. « Tu l’as déjà dit. »
L’adrénaline courait dans ses veines, et elle s’approcha de Gabe pour dire quelque chose d’autre, mais Sylvain trouva la force de la retenir et la tira en arrière vers lui.
Surprise, elle se retourna pour le regarder.
« On doit courir, » expliqua Sylvain raisonnablement, mais les mots sortirent de sa bouche telle de la bouillie brouillée.
« De quoi ? » demanda-t-elle, s’approchant plus près de lui.
Elle avait l’air si brave.
Il prit une profonde inspiration. Il se força à ne pas sentir la douleur. Et il l’attira à lui alors qu’il faisait un pas. Puis un autre.
« On doit courir, » dit-il à nouveau, plus clairement cette fois.
Cette fois il sut qu’elle avait compris, car elle se retourna avec lui, et ils coururent ensemble dans l’obscurité.
C.J. Daugherty
[Traduction : Night School France]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire